POÈMES sur la LUNE

 

- Rencontre au sommet -
 
Ce soir je vais à la Lune.
 
Je marcherai à sa rencontre, l'âme flâneuse, le pas paisible. Elle sera ronde, mon coeur sera plein. L'astre étrange est mon asile, mon vertige, mon abîme. Funambule vénéneuse de la voûte, chandelle errante de la nue, j'aime sa molle course au-dessus des toits.
 
Tantôt pâle sourire, tantôt face de diable, son mystère s'épaissit au fil de la nuit. C'est une grande Dame qui porte robe longue. C'est aussi une traîtresse qui ricane derrière les égarés. Mieux vaut s'en faire une amie. Ce soir je cheminerai sous son voilage d'éther.
 
Je la contemplerai longtemps, somnambulant entre bois et sentiers, la semelle terreuse, la tête effleurant le firmament. Je lui parlerai, et le silence sera d'or.
 
Cette nuit sera argentée.
 
Vagabonde sidérale, elle disparaîtra dans la brume du matin. Et moi, frissonnant de froid, je me hâterai vers l'âtre. A l'aube je m'endormirai, les cheveux blanchis de la poussière des chemins, la tête pleine des diamants de la nuit.
 
Raphaël Zacharie de Izarra
 
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- La Lune -
 
Pour vous rejoindre, depuis si longtemps que j'en avais conçu l'immortel projet, je me hâterai sans regret, ivre de vous, insoucieux du futur, confiant dans votre pâle éclat, attentif à votre regard paisible, envoûté par votre sourire triste et énigmatique.
 
Vous êtes une lyre éternelle accrochée à la nuit, et avant que je ne sois né vous chantiez depuis toujours avec sérénité au-dessus des nues agitées. Je n'étais pas encore en ce monde, et vous le berciez de vos soupirs lents et infinis. Dès que je vous ai vue, à l'éveil de ma jeune âme, j'ai eu l'intuition d'être né par et pour vous.
 
Oui, depuis ce temps mythique de mon enfance où, imprégné de votre mystère, j'allais m'évader dans votre chevelure phosphorescente, je rêve de vous. Avec votre insondable mélancolie, vous semblez régner sur mon destin. C'est vers vous que je désire monter. C'est du haut de votre sommet que je veux contempler les êtres et les choses contenus dans l'Univers.
 
Au jour de ma mort vous diffuserez vos caressants reflets sur mon visage éteint. Vous êtes onirique, et j'aurai l'éternité devant moi pour fouler votre sol de poussière et d'immuable écume.
 
Raphaël Zacharie de Izarra
 
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- Entre Terre et Lune -
 
J'erre entre ciel et poussière dans la solitude et le silence, le regard perdu dans les étoiles, le coeur plein de mélancolie. J'allonge le pas sous une nuit éternelle, sur un rivage infini : mon pied est léger, mon coeur est lourd, et mes larmes s'évaporent comme de l'éther dans l'espace. Mon chagrin a le prix des choses inconsistantes : je pleure pour rien du tout.
 
Je suis affligé, inconsolable, perdu. Je n'ai plus de joie, et mon infinie tristesse est cependant ma raison de vivre. La blonde veilleuse est mon asile : je suis PIERROT LUNAIRE.
 
Raphaël Zacharie de Izarra
 
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- Une vision des choses -
 
En rasant la pointe du clocher, la Lune m'apparut comme un Graal à atteindre. Ce soir-là les choses d'apparence les plus anodines dévoilaient un sens caché : je percevais l'essentiel.
 
En imagination je remplaçai la pierre par le feu et l'acier : l'église devint fusée. Le vaisseau désignait l'astre, prêt à s'affranchir de la pesanteur. Je vis le mastodonte s'élever dans un bain de lumière, majestueux.
 
Je le voyais qui parcourait les profondeurs sidérales : ma pensée vagabonde le suivait dans sa course poétique vers l'infini.
 
Les choses ayant pris une soudaine hauteur sous mon regard neuf, je voyais le monde avec vérité. Devant moi la pierre inerte avait déployé ses ailes. La matière sous l'éther s'était allégée.
 
Et je demeurais au pied de l'église à fixer la voûte étoilée, idiot.
 
Raphaël Zacharie de Izarra
 
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- Au clair de l'une, à l'ombre de l'autre -
 
Mademoiselle,
 
Avec le premier quartier naissant de la Lune, l'image de votre chère personne s'impose à moi. Toujours, je vous ai associée au disque onirique. Pâle apparition aux charmes muets et au visage vague, vous représentez pour moi l'appel du large. Celui des profondeurs sidérales et des étoiles lointaines.
 
Vous êtes ma consolation stellaire : une sorte de lueur au firmament qui parvient à entretenir le rêve en moi. Demeurez pour toujours cette pâle, frêle créature croisée entre rêve et réalité, entre pluie et horizon, entre ciel et gargouilles.
 
Je ne trahirai pas cet astre blême que j'ai mis sur orbite onirique. Comment le pourrais-je d'ailleurs ? Chaque fois que je regarde la Lune, c'est votre visage que je vois Mademoiselle, aussi doux qu'une chandelle, mystérieux comme un oiseau de nuit, hâve et mélancolique tel un fantôme. Et lorsque chuchote à travers ma fenêtre la Dame Blanche, compagne de mes insomnies, il me semble que c'est la claustrale demoiselle que vous êtes qui se confie à moi : oui, la sereine Veilleuse qui luit au zénith me rappelle la triste chartraine que vous avez toujours été. Voyez-vous, vous ne cessez de tourner autour de moi Mademoiselle.
 
Je suis à vous et je chante à l'infini votre beauté lunaire, vous l'hôte privilégiée de mes songes.
 
Vous avez les grâces cosmiques des sélènes créatures et des filants objets qui peuplent la voûte, hôtes célestes que je poursuis chaque nuit comme un Graal à ma portée.
 
Vous ressemblez au mystère d'en haut. Vous êtes un temple, et de ce temple s'élève une prière. Et cette prière, c'est la mienne. Et je m'adresse à vous. Et le sens de ma prière est l'amour.
 
Chartres est mon éden et ma douleur, ma gloire et ma misère. Et celle qui partage mon alcôve, votre rivale, est ma plus chère faiblesse. Vous, vous êtes mon purgatoire, ma croix, mon linceul. Et puis ma rédemption, ma lumière, mon salut. L'une est ma conquête temporelle, l'autre ma victoire céleste. L'une à ma gauche, l'autre à ma droite. L'une est un peu ange, l'autre un peu diable. Tiraillé entre ces deux feux, je me consume.
 
Ma plume est une flamme, et vous Mademoiselle vous êtes l'eau vive tombant du ciel. Et vous faites de mes lettres de feu des lettres d'artifices.
 
Je vous destine ces mots. Je m'en retourne à ma Lune et à mes chères étoiles, ne cessant de songer à vous.
 
Raphaël Zacharie de Izarra
 
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- Un rêve éveillé -
 
Lors d'une promenade nocturne à cheval, une étrange aventure m'est arrivée.
 
Je filais à molle allure sous la lune, bercé par le son suggestif des sabots de ma monture dont l'écho résonnait avec poésie dans la campagne.
 
Mélancolique, je me mis à songer à l'improbable aimée qui tardait à venir. Mais bientôt assoupi par le pas alangui de l'animal, je posai la tête contre sa nuque généreuse. Le doux Morphée m'emporta bien vite, tandis que je demeurai à demi couché sur le cheval qui cheminait toujours. Et le songe prit le relais de la rêverie amoureuse... Mais la vision onirique prit corps, tournant à la féerie, et je crus enfin rencontrer ma belle pour de bon :
 
Elle marchait à mes côtés, se métamorphosant imperceptiblement en une jument superbe : ses cheveux d'or se changeaient en crinière et sa robe claire épousait ses chairs. Je la montai, tout ému, et elle m'entraîna aussitôt dans une chevauchée impétueuse pour prendre son envol vers l'astre de nuit.
 
Crinière au vent et bouche écumante, elle se lançait dans les airs en hennissent frénétiquement. Mes éperons étincelaient au clair de lune, son crin ondulait fièrement, le vent frais giflait ma face échevelée, et nous étions tous deux ivres de joie !
 
Je m'étourdissais dans ce saut vertigineux, les doigts agrippés à sa crinière en bataille ! Le zénith atteint, dans un long hennissement qui la fit se cabrer avec grâce sur le fond des étoiles, elle communiqua à la lune son bonheur de sillonner le firmament à mon côté, elle cavale ailée, moi baladin sidéral.
 
Enfin, dans un furtif tourbillon nous disparaissions vers les étoiles.
 
Reprenant mes esprits, je m'aperçus que je m'étais égaré durant mon bref sommeil sur le dos du cheval qui, impassible, avait continué sa marche. Et, retournant sur mes pas, je fixais la lune qui éclairait mon chemin, songeur, l'air dubitatif...
 
Emu.
 
Raphaël Zacharie de lzarra

 

- Celui qui est en moi -

 

Le son des pas du cheval dans la plaine me fait songer à chaque étoile que compte le ciel de ma longue nuit. Lorsque je foule la poussière des chemins, c'est toujours vers le firmament que se tournent mes regards.

 
Tous les astres du monde sont logés dans mon coeur comme autant de larmes ou d'émeraudes, selon que je suis triste ou plein de joie. Je porte en moi les chagrins les plus secrets, les plus futiles de l'univers. Mais je sème aussi les lumières les plus pures dans les coeurs. En quête d'un amour que je suis seul à concevoir, je parcours le monde depuis des siècles en infatigable rêveur, trouvant la force de durer à travers les âmes pures. Ma jeunesse est intacte, préservée par des siècles de vertu.
 
Mon souci n'est pas l'or, ni le temps, ni la mort qui effraie tant les hommes, mais l'amour, la beauté, la poésie. Aussi, je ne puis mourir : l'infini est mon compagnon de route. Loin de vos lois, je règne en souverain sur vos nuits, vos songes, l'imaginaire.
 
Parfois on me tend la main sous la Lune : je prends la forme d'un paysage, d'un feu follet, d'une chandelle. Là, j'apparais dans mon ineffable vérité.
 
Je poursuis ma route la tête dans les constellations à la rencontre des âmes pures.
 
Je suis un fou d'amour, un spectre, une flamme traversant le temps, accroché à des incarnés. Je voyage d'âme en âme. L'être dont je possède le souffle aujourd'hui est l'auteur de ces lignes que vous êtes en train de lire.
 
J'ai pris possession de lui et je prends la parole à travers sa plume.
 
Mon nom est Pierrot.
 
Raphaël Zacharie de Izarra

 

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